Il a grandi neuf mois dans mon ventre,
protégé, attendu, imaginé, projeté dans ce qu'il pourrait être
alors que nous savions déjà qu'il aurait ce petit truc en plus, ou
en moins.
Il a suffit d'une visite prénatale
pour comprendre que rien ne se passerait normalement.
"Il a une fente labio palatine"...
C'est tombé, comme ça. Surement de la
meilleure façon qu'il soit. Simplement.
Dans l'instant, un peu abasourdie, mais
totalement dans la concience, j'acceuille, je reçois l'information,
je m'en détache presque. Remonte à moi le souvenir de mes cours à
ce sujet.
Et puis nous rentrons chez nous.
Neuf mois vont s'écouler lentement. Je
vais chercher, penser, construire tout un projet autour de lui, de
notre allaitement, des soins de cette malformation.
Mon corps se prépare à le découvrir.
Mais mon inconscient repousse cette rencontre. Je ne lâche pas
prise. Quatre jours s'écoulent après terme avant que l'on choisisse
de déclencher l'accouchement. En moins d'une heure les contractions
arrivent. J'accepte enfin son arrivée. Chaque contraction me
rapproche de lui. De ce nouveau "nous" à quatre. Je
marche, je gravie les marches de la maternité, je fais du ballon, je
l'aide, je veux l'aider.
Le gel qui doit déclencher
l'accouchement est posé depuis 3h, mais mon col bouge peu... Puis en
une heure, après cette phase de désespérance, il se dilate
complétement en moins d'une heure, bébé s'engage. Quelques
poussées et nous le découvrons. En une minute nous avons déjà
oublié son visage si particulier.
C'est aussi le début des angoisses au
sujet des chirurgies.
Jour après jour, semaine après
semaine. Pris dans "le faire", je ne vois pas qu'il grandi.
Je ne profite pas vraiment. L'attente des chirurgies m'empêche de
lâcher prise. Le rythme des tirages de lait me tient dans ce
quotidien, il est l'objectif de chaque jour.
Première chirurgie en mai. Il a mal,
il ne mange pas mieux. L'allaitement est toujours impossible.
Il a fallu que je le laisse, que
j'arrive à faire confiance à ce monde médical si austère. Son
petit corps me crit sa douleur, ses peurs. Je culpabilise, je ne
supporte plus mon impuissance, mon incapacité à contrôler. Je tire
mon lait, c'est tout ce qui me réassure sur mes compétences.
L'été passe, dans un rythme quotidien
de tirage de lait toutes les deux ou trois heures, puis les bib
toutes les deux heures. Le nez dans le guidon, je ne pense qu'à ça,
je ne vis que ça. Le prochaine chirurgie va arriver tellement vite.
Chaque jour je le met au sein, chaque jour je vis cet échec, chaque
jour je vis son rejet. A la fin de l'été je décide de ne plus lui
proposer quotidiennement, d'arrêter de me faire du mal. Je lui
propose uniquement une fois par semaine. Puis doucement j'oublie.
Il sourit. Il rit. Il commence le
quatre pattes, à se mettre debout.
Je le remet au sein. Il ne me rejette
plus. Il ne tète pas non plus. Une petite victoire. Un peu d'espoir.
Mais je suis fatiguée. Je n'ai plus la
force de tenter, de ressortir mes accessoires.
La neige est là.
Sa seconde chirurgie a lieu en
décembre. Il a huit mois.
Ça y est son palais est reconstruit.
Mais lui, il va mal. Il pleure
beaucoup. Toute sa sécurité est ébranlée. Et mon sein qui ne peut
être un refuge. Je n'ai pas réussi à l'allaiter. Comme on me
l'avait prédit. Cette déception est si forte. Il refuse parfois
même de boire mon lait que je peine à tirer. La nuit, avant la chirurgie il buvait plusieurs fois, et depuis notre retour, il refuse
son biberon, il accepte uniquement de manger un petit suisse à la
cuillère en pleine nuit, plusieurs fois. J'ai presque oublié la
sensation de s'endormir avec son bébé au sein. Comme si cet
allaitement avait recouvert celui que j'ai vécu avec sa sœur.
Pourtant il avait duré 4 ans...
Il va avoir 9 mois. Et je me rends
compte que j'ai beaucoup subit mon impuissance face à tout ça.
Dix huit mois. C'est ce qu'il aura
fallu comme temps pour reconnaitre que je dois accepter. Tenter de
vivre simplement. Oublier ce petit morceau de vie qui ne définira
jamais ce qu'il est et ce que nous sommes.
Faire le deuil de ce bébé attendu, de
cette grossesse rêvée, de ce second allaitement qui n'est qu'un piètre ersatz d'allaitement me laissant un goût amer.
Arrêter de tenter, sans avoir le
sentiment de renoncer. Je dois être fière de tenir ce tire
allaitement et parvenir à me contenter de ça.
Notre tout petit est arrivé chez nous
avec sa différence, ce petit truc en plus ou en moins.
J'ai choisi l'action, j'ai choisi
l'immersion, et puis j'en ai oublié de juste le regarder. De juste
profiter, m’émerveiller. Cependant, j'oublie les regrets. J'ai fais
comme je pouvais. C'est ce qui m'a, sans nul doute, permis d'avancer
et de continuer à ses côtés.
Aujourd'hui, j'ai envie de profiter, de
prendre le temps de le regarder. De vivre notre vie de famille le
plus normalement possible. De prendre le temps de le voir grandir,
changer, découvrir, apprendre. Je veux retrouver le bonheur de notre
famille. Comme avant.
Je n'ai rien à réparer, mais tout à
construire autrement.
Je suis cette mère qui, 9 mois fois
deux après, est enfin prête à lâcher prise...
Bravo... je n'ose imaginer pleinement ce que tu as vécu au quotidien, pour moi tu es une maman courageuse et on sent beaucoup, beaucoup d'amour pour ton petit... bravo...
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